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Date de création : 16.06.2010
Dernière mise à jour : 01.08.2024
1173 articles


Poutine, l'itinéraire secret

Poutine, l'itinéraire secret

Qui est Poutine cet homme qui semble en permanence porter un masque ? Un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d'argent.

 

RÉSUMÉ
Vladimir Poutine reste une énigme. Que veut-il ? Affirmer son pouvoir personnel et celui de son clan dans la lignée des autocrates qui se sont succédé au Kremlin depuis des siècles ? Restaurer la grandeur de son pays, en faisant la synthèse de l’histoire russe, des tsars aux soviétiques ? Comment le petit lieutenant-colonel du KGB qu’il fut à la fin de la guerre froide a-t-il pu s’imposer au sommet de l’une des premières puissances du monde ? Qui est cet homme qui semble porter un masque ? Un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d’argent, ou un patriote sincère ?
Au fil d’une enquête rigoureuse, nourrie de témoignages inédits recueillis en Russie, Frédéric Pons répond à ces questions. Sans rien occulter, il brosse un portrait saisissant du maître du Kremlin : son enfance dans un milieu modeste de Leningrad, ses rêves de jeune soviétique, les étapes décisives de sa formidable ascension, ses réseaux de pouvoir. Il démontre à quel point cet homme déterminé incarne les aspirations et les craintes de la Russie depuis la chute du communisme.
Dans le contexte actuel de crise, ce document brûlant, informé aux meilleures sources, est une lecture indispensable pour décrypter la personnalité, les objectifs et la stratégie de cet interlocuteur incontournable de l’Occident.

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Avant-propos

2000-2014 : après deux mandats consécutifs de quatre ans à la tête de la Fédération de Russie (de 2000 à 2004 puis de 2004 à 2008), puis quatre ans comme Premier ministre du président Dmitri Medvedev (2008-2012), Vladimir Poutine a commencé son troisième mandat présidentiel en 2012. Depuis le changement constitutionnel intervenu en 2010, sa durée est désormais de six ans. Poutine est donc sûr de rester au pouvoir jusqu’en mars 2018. S’il se représentait à cette date et s’il gagnait une nouvelle fois la présidentielle – ce qui pour l’heure semble possible –, il pourrait rester à la tête de la Russie jusqu’en 2024. Soit vingt-quatre ans de pouvoir ! Il s’agirait alors du plus long « règne » d’un dirigeant russe depuis la mort de Staline, en 1953.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Vladimir Poutine est là depuis longtemps et pour longtemps. Cette durée est exceptionnelle, autant que le contenu politique et sociétal de sa « révolution » et son impact sur les relations de la Russie avec le reste du monde. Cela mérite d’être analysé, sans les filtres médiatiques qui ne retiennent bien souvent que l’écume des choses. Il est vrai que, depuis des années, la plupart des articles ou des documents parus sur Poutine en Occident sont à charge. Il fallait donc aller au-delà du conformisme intellectuel ambiant sur cette personnalité controversée et sur ses idées, insupportables à beaucoup. Il fallait expliquer l’homme et le pays qui l’a porté au pouvoir et se garder de l’habituel eurocentrisme qui caractérise les Occidentaux, souvent générateur de contresens. Dans les relations internationales, la politique de l’autruche n’a jamais donné de bons résultats. Elle est généralement synonyme de catastrophes.

Pour rester claire et surtout utile, cette biographie politique du maître du Kremlin se devait d’être lucide en évitant deux écueils : les présupposés idéologiques liés au passé soviétique et au présent réactionnaire de Poutine ; une simplification excessive qui serait liée à la sympathie ou à l’antipathie que sa personnalité et sa politique peuvent susciter en Europe. Sujet central de ce livre, le décryptage de la Russie contemporaine et de son président méritait mieux qu’un catalogue convenu d’anathèmes ou qu’un recueil incongru de louanges. « Je ne blâme ni ne loue, je raconte », disait l’excellent M. de Beaumarchais.

 


Vladimir Poutine ne laisse personne indifférent. Les années n’ont rien changé à cela. Au contraire. Certains l’adorent. Surtout en Russie et dans les pays slaves. Beaucoup le détestent. Principalement en Occident et dans les milieux intellectuels. Il est vrai que Poutine n’a jamais fait beaucoup d’efforts pour se faire aimer, sauf, peut-être, en direction de ses concitoyens. Une majorité d’entre eux le lui rendent bien. Ce soutien plus ou moins admiratif – il s’agit même parfois de la dévotion – se vérifie à travers les suffrages répétés de l’électorat russe en sa faveur. Chaque élection depuis 2000 a permis de le constater, avec des degrés divers mais de façon constante. Ce soutien s’est érodé dans l’élite urbaine et branchée des plus grandes agglomérations de Russie, où se trouvent la plupart de ses opposants, mais il reste massif dans la Russie profonde.

Cette majorité silencieuse qui vote Poutine contre vents et marées ne cache pas sa nostalgie de l’ordre, de la sécurité et de la grandeur, associés, dans la mémoire collective du pays, aux deux régimes qui ont précédé l’actuelle république fédérale de Russie : l’empire blanc des tsars et l’ordre rouge des Soviétiques, deux systèmes autocratiques – c’est le moins qu’on puisse dire – marqués par le même centralisme, l’un rayonnant à partir de Saint-Pétersbourg et l’autre de Moscou, par la même tutelle d’acier imposée par la police politique, de l’Okhraïna fidèle à l’empereur de toutes les Russies, au KGB dévoué au parti des travailleurs. Aujourd’hui encore, la tradition persiste. Poutine en est l’héritier. De l’imposante forteresse aux murs rouges du Kremlin, il tient le pays d’une main de fer, en s’appuyant sur le FSB, placé sous ses ordres directs.

Ni son physique si son parcours ni son attitude actuelle face au monde extérieur ne plaident en faveur de Vladimir Poutine. De taille modeste, le cheveu plat, le regard bleu glacé, le sourire rare, il ne dégage pas vraiment de charisme, ce petit supplément d’humanité que l’on reconnaît à certains chefs d’État occidentaux, plus déliés, plus souriants, plus cools, et sûrement plus familiers des codes de la communication moderne dans nos sociétés du spectacle, de l’émotion et de l’empathie.

Poutine est un costaud, ramassé sur lui-même, d’une densité physique qui peut impressionner ses interlocuteurs. Sa pratique intensive du judo et de la natation lui a forgé une musculature qu’il exhibe parfois sur ces photos « viriles » prises en pleine nature. Des sports de combat, Poutine a gardé cette allure compacte qui limite sa gestuelle, au risque de le faire paraître gauche. Quand il marche, Poutine chaloupe légèrement. Il ne balance que le bras gauche, comme si le droit, son bras d’attaque, restait en permanence prêt à crocheter un adversaire. Rien dans sa silhouette n’inspire la décontraction ni la sympathie. Dans les sommets internationaux, il est amusant de voir ses homologues à ses côtés : le basketteur Barack Obama, tout en bras, en jambes et en « sourires », ressemble à un aimable pantin désarticulé ; de la même taille que Poutine, Nicolas Sarkozy serait un ludion électrique et François Hollande un poussah culbuteur.

Poutine ne montre jamais ses émotions, comme le racontent les nombreux exemples cités dans les chapitres suivants. L’enfant timide est devenu un adulte réservé qui veille constamment à ne rien révéler de lui-même. Des arts martiaux pratiqués à haut niveau et de sa passion pour le jeu d’échecs, un sport national en Russie, il a adopté une véritable discipline de comportement. Il en a même fait une stratégie de négociation dans ses responsabilités politiques. Il l’applique à la lettre, face à tous ses interlocuteurs, qu’ils soient russes ou étrangers. Elle tient en deux mots : dissimuler et surprendre. Ou patienter et cogner. Comme au judo, il veille à ne jamais montrer sa peur, à ne dévoiler en aucun cas son jeu, à toujours surprendre son adversaire pour garder l’initiative et pouvoir frapper au moment où l’autre s’y attend le moins.

Tous ceux qui ont eu à négocier avec lui ont décrit son extrême réserve initiale – elle lui sert à observer et à comprendre les faiblesses de son adversaire – puis ses initiatives fulgurantes. Cette stratégie a souvent pris de court ceux qui n’avaient pas décrypté son jeu ni anticipé ses coups, ceux qui l’avaient sous-estimé, trompés par son sourire timide et sa gaucherie apparente. Poutine a joué ainsi et gagné face aux oligarques, de Berezovski à Khodokorvski, qu’il a obligés à rentrer dans le rang, face aux gouverneurs de région, remis au pas manu militari, ainsi que dans les crises internationales récentes : Géorgie, Ukraine, Crimée, Syrie, Iran.

On pourrait croire que l’actuel maître du Kremlin a gardé les vieilles méthodes apprises au KGB, qu’elles sont devenues chez lui des manies, que son allure de passe-muraille est celle de l’ancien agent de renseignement politique qu’il fut. Mais ce goût du secret et cet art de la force manœuvrière et de la riposte foudroyante, il les avait en lui dès l’enfance, avant même son entrée dans les services. La formation professionnelle reçue à l’école du KGB soviétique l’a évidemment imprégné, mais moins qu’on ne le croit, même si son passé dans ce service de répression a largement contribué à noircir son 

image en Occident. Il fausse, sans aucun doute, le regard occidental sur sa personnalité et sur sa politique.

Poutine a passé quinze années dans les services. Cette carrière n’est pas glorieuse. Elle semble même plutôt terne, au regard de toutes les sources actuellement disponibles et des témoignages recueillis. Poutine n’a pas été un super-espion soviétique traqué par tous les services de l’Ouest. Il n’a jamais été un redoutable James Bond venu de l’Est pour retourner des agents étrangers et manipuler des sources. Il n’a pas été un 007 rouge agissant dans l’ombre de la guerre froide, pistolet Tokarev au poing, jouant de son charme au côté de beautés slaves évidemment fatales. Sa carrière est celle d’un officier sérieux, consciencieux, mais sans éclat. Sa progression dans la hiérarchie des officiers est normale au regard des cursus habituels au KGB. Ni ralentie ni accélérée. Son avancement et ses décorations n’ont rien d’exceptionnel, obtenus à l’ancienneté.

Fonctionnaire besogneux, Vladimir Poutine faisait des fiches, principalement sur les milieux religieux et culturels dissidents. Il attendra dix ans avant de pouvoir prétendre à un poste à l’étranger. Il espérait une affectation à l’Ouest. Il eut l’Allemagne de l’Est, une république sœur, nettement moins glamour que l’Allemagne de l’Ouest, la France ou les États-Unis. Il voulait Berlin-Est, qui était alors une des plaques tournantes du renseignement et de l’espionnage pendant la guerre froide. On l’envoya à Dresde, une cité saxonne de second plan. Il avait rêvé d’espionner l’Ouest pour porter des coups à l’Otan et à l’Amérique. Il fit des fiches sur des Allemands de l’Est. On comprend mieux son désir de quitter le KGB, en 1990, au terme de quinze années peu gratifiantes. Quand il revint dans les services, huit ans plus tard, pour en prendre la direction, Poutine le fit en traînant les pieds. Celui qui n’était resté qu’un obscur petit lieutenant-colonel s’amusa même d’être élevé au grade de général, une obligation administrative pour assurer la direction du FSB, le successeur du KGB.

Ce passage dans les services secrets, une structure de répression longtemps chargée de la traque des dissidents, continue à ternir son image. Le terme péjoratif d'« ancien kagébiste » lui colle à la peau. Utilisé à satiété, il semble devoir accréditer l’idée d’un vaste complot ourdi dans l’ombre par les services pour amener Poutine au pouvoir et l’y maintenir le plus longtemps possible. C’est en partie un fantasme, qui se répète de livre en livre, où les théories complotistes font toujours florès. Si on pouvait en effet le croire au début des années 2000, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La réalité décrite dans ce livre montre que si Poutine s’est en effet appuyé au départ sur le KGB et les structures de force – les fameux siloviki –, dans la grande tradition des dirigeants russes, il s’en est finalement plus servi qu’il ne les a servies. Prudent, pragmatique, Poutine a utilisé en réalité de multiples réseaux qui ont joué en sa faveur, à commencer par ses amis et ses relations restées fidèles de Saint-Pétersbourg ou sur la « mafia » des gouverneurs de région.

Le label KGB, comme son goût du secret et le réalisme martial qui structurent sa politique, ne rendent pas Poutine sympathique. C’est surtout vrai en Occident où la communication se veut permanente, ouverte, ostensiblement décontractée, où, à part au Royaume-Uni, les services sentent le soufre et le coup fourré. Poutine « passe mal ». Est-ce si important ? Le problème n’est pas de l’aimer ou de le détester, mais plutôt de comprendre pourquoi la voix de la Russie compte et porte beaucoup plus qu’il y a dix ans dans les relations internationales, de savoir qu’aucun des dossiers brûlants en cours ne pourra être traité en ignorant la Russie ou en l’ostracisant.

Garder cette posture avec la Russie est un piège. Si elle donne l’illusion d’agir à bon compte, elle conduit à la paralysie puis à l’éviction du jeu diplomatique. À terme, elle obligerait à céder la place aux autres, plus pragmatiques ou plus dépendants de l’ours russe. Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, a livré sur ce point de franches leçons de Realpolitik, trop souvent oubliées par la plupart de de ses successeurs.

Il est vrai que Poutine ne fait pas grand-chose pour améliorer sa perception en Occident. Mais faut-il le répéter ? Il travaille en priorité pour ses concitoyens, don’t la majorité se réjouit d’avoir retrouvé un chef, réputé dur mais juste, « patriote et impérial ». Depuis 2000, les Russes plébiscitent la posture poutinienne, en contraste total avec l’image dégradée de la quasi-totalité des dirigeants russes depuis Staline, humiliante pour la Russie. Les sondages montrent que les Russes ont un mauvais souvenir des brochettes d’apparatchiks vieillissants et maladifs de la fin de l’Union soviétique (Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko). Ils ne regrettent pas le dirigeant velléitaire et dépassé que fut Mikhaïl Gorbatchev pendant l’agonie de l’URSS (la perestroïka), à partir de 1985. Ils préfèrent oublier le président malade, alcoolique et manipulé que fut Boris Eltsine, après la mort de l’URSS, de 1991 à 2000. Humiliée par le repli russe depuis 1991, révoltée par le pillage des richesses du pays, obsédée par une irrépressible sensation d’encerclement ourdi par des puissances réputées hostiles, cette Russie profonde s’est reconnue dans l’ambitieux projet de restauration proposé par leur président.

Que veut Vladimir Poutine ? Où va-t-il ? Il a donné la réponse à ces questions à plusieurs reprises, depuis 2000. Parfois ignorés ou mal traduits, souvent déformés, ses propos donnent la clé de son action passée et à venir, et de son attitude à l’égard de l’Occident et de l’Asie. Si elle est un trait évident de son caractère, sa brutalité est aussi le revers de l’urgence de la situation catastrophique dans laquelle la Russie se trouvait en 2000, don’t elle peine à sortir.

Le temps lui est compté. Il le sait et il le dit. Ce cynisme et ce mépris des droits de l’homme qui lui sont reprochés lui permettent d’aller à l’essentiel. Il veut foncer, ne pas se laisser retarder ou engluer par toutes les raisons, justifiées ou pas, qui poussent tant de chefs d’État à ne plus bouger une fois au pouvoir, à ne plus rien entreprendre pour tenter de conserver les consensus apparents, pour ne pas risquer de créer de désordre momentané. Cet immobilisme politique est exactement ce qui est reproché aujourd’hui à des dirigeants comme Barack Obama aux États-Unis ou François Hollande en France. Par contraste, l’activisme déterminé de Poutine détonne et dérange. Il a conscience de ne pas respecter tous les standards internationaux sur les droits de l’homme. Il l’a déjà reconnu. Il plaide pour le respect des traditions culturelles de la société russe. Il rappelle la nécessité de sortir la Russie de l’ornière et de la rétablir comme une des grandes puissances du xxie siècle. C’est ce qu’il fait depuis quatorze ans, en acceptant de « casser des pots ». Pour les dix prochaines années, son ambition est de stabiliser la Russie et de livrer aux générations futures une société ordonnée, apaisée, capable de rejoindre les standards de vie occidentaux. L’heure de vérité des années Poutine sonnera en 2024.

Chez lui, comme sur la scène internationale, le maître du Kremlin n’a rien d’un conservateur. C’est un révolutionnaire pressé. Il bouscule les structures et les hommes et n’hésite jamais à remettre en question l’ordre international, quand il croit qu’il en va de l’intérêt supérieur de la Russie. Tantôt souple, tantôt brutal, rarement charmeur, souvent glaçant, il manœuvre en utilisant tous la gamme des moyens à sa disposition. Autour de lui, des gens de sa trempe l’aident et le conseillent, à commencer par son ministre des Affaires étrangères, le séduisant Sergueï Lavrov, sans doute le plus habile diplomate de sa génération. Le président russe n’hésite pas à recourir aux armes. On l’a vu à la manœuvre en Tchétchénie et en Géorgie. Il connaît aussi parfaitement les règles de la manipulation et de la propagande – un héritage du KGB. L’Ukraine et la Crimée ont prouvé les capacités russes dans ces domaines.

Vladimir Poutine n’est pas obtus. Il a même ouvert le jeu vers l’Ouest à plusieurs reprises – ce qu’on a tendance à oublier. Il a répété sa préoccupation dans de nombreux discours : il ne souhaite pas couper la Russie de l’Europe, car il sait que s’y trouve une partie des racines et des intérêts russes. Aux Européens précisément, il a proposé de bâtir « une Europe de Lisbonne à Vladivostok », avec la mise en place d’un « programme de développement mutuel, avec un régime commercial préférentiel ». Dans son analyse, cet ensemble aurait vocation à être « un espace commun de développement, pour des projets d’avenir, de la santé à la défense spatiale ». Cette proposition n’a eu que peu d’écho. Prise dans une crise économique et identitaire qui n’en finit pas, l’Europe n’est pas encore prête à cette avancée stratégique. Son auteur n’a sans doute pas été jugé assez crédible. Aux yeux de beaucoup, Poutine reste porteur de trop de cynisme et d’intentions cachées.

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Tout commence à Saint-Pétersbourg

Notre expérience nationale amère aidera, en cas de nouvelles conditions sociales instables, à nous prévenir d’échecs funestes.

Alexandre Soljenitsyne (2007)
Vladimir Poutine est l’héritier d’un pays particulièrement complexe et d’une histoire nationale parmi les plus heurtées et les plus violentes des cent dernières années. Elle n’a pas vraiment d’équivalent dans le monde, même en Europe occidentale, qui a connu pourtant tant de bouleversements au xxe siècle. Ce sont des données qu’il ne faut jamais oublier quand on s’intéresse à la Russie et à la place de Vladimir Poutine dans son histoire contemporaine. Le maître du Kremlin est confronté à la complexité d’un territoire de 17 millions de kilomètres carrés – le plus vaste pays du monde –, étalée sur onze fuseaux horaires, peuplée de 148 millions d’habitants, composée d’une mosaïque de cent cinquante ethnies différentes, pratiquant plusieurs religions, y compris – encore aujourd’hui – la « religion communiste ». Vue de Moscou, la géographie de la Russie est explicite : les cartes établies par les Russes situent en effet leur pays exactement entre les États-Unis d’Amérique, l’hyperpuissance d’aujourd’hui, et la Chine, la grande puissance de demain. Loin vers l’ouest, apparaît un isthme de terres émergées, fracturées en une trentaine de petits pays : la vieille Europe occidentale.

La géopolitique russe d’aujourd’hui, marquée par ces postures ou ces décisions qui ne sont pas toujours lisibles ou comprises – quand certains ne veulent pas les comprendre –, s’analyse au regard de cette approche géographique qui explique la stratégie et la politique de Vladimir Poutine. Le président russe se place dans la réalité de son pays mais aussi dans son histoire, comme tous ses compatriotes slaves chez lesquels la nostalgie affleure toujours. C’est particulièrement vrai dans la Russie des années 2010. Les Russes redécouvrent leur passé, parfois avec étonnement, souvent avec fierté. Poutine est l’héritier de l’histoire de ce pays qui n’a jamais vraiment connu la démocratie et la liberté, au sens occidental du terme, sauf peut-être, mais de façon chaotique et très imparfaite, pendant ces vingt dernières années. Passés sans transition de l’empire autoritaire et religieux des tsars à l’empire dictatorial et idéologique des soviets, les Russes n’ont quasiment aucune expérience suivie du pluralisme politique, de l’économie de marché, de la pratique continue des libertés individuelles et publiques, de la séparation des pouvoirs. Ils ne font que découvrir ce qui fait le quotidien des démocraties dans le monde, un socle commun forgé au cours des deux cents dernières années. Pour la Russie, le processus a commencé voici vingt ans à peine, à la chute de l’Union soviétique (1991), pour s’affirmer quelques années plus tard, à la fin de la période de chaos et d’anarchie qui accompagna les deux présidences de Boris Eltsine (1991-2000).

En un siècle, la Russie aura subi trois chocs systémiques majeurs. D’abord la fin brutale de l’empire des tsars (1917), remplacé par la dictature non moins brutale du prolétariat, sous la tutelle de fer des soviets. Les bagnes de l’empire furent remplacés par le goulag rouge. Il y eut ensuite la terrible saignée de la « guerre patriotique » contre le Reich hitlérien (1941-1945). Ce conflit fit vingt-cinq millions de morts dans la population soviétique, en grande majorité des civils. Cet épisode tragique est mal connu de l’opinion occidentale, mais il est fondamental pour comprendre la psychologie historique des Russes d’aujourd’hui, notamment celle de Poutine. Son histoire familiale est intimement liée aux souffrances extrêmes du siège de Leningrad. Sa trajectoire personnelle est imbriquée dans les soubresauts qui accompagnèrent l’effondrement de l’empire soviétique (1986-1991) et la décennie d’ajustement qui suivit (1991-2000). Lui, comme au moins trois générations de Russes, a subi la perte de tous ses repères fondateurs et structurants.

Le choc de la disparition de l’URSS entraîne d’abord, à l’intérieur du pays, l’implosion d’une société soumise brutalement à tous les dérèglements d’un pays privé de boussole : la désorganisation administrative, sociale, économique ; le pillage sans vergogne des richesses du pays ; le repli sur soi d’une partie de la société, à travers une véritable paranoïa du trafic ; une consommation effrénée d’alcool et, surtout, le refus de l’avenir. L’un des traits dominants de cette période est l’affaissement sans précédent de la démographie russe. « Le désordre est dans les têtes », écrivit de façon prémonitoire le romancier Mikhaïl Boulgakov, l’auteur de Cœur de chien.

À l’extérieur des frontières aussi, les dix années qui suivent la dissolution de l’URSS et de son bras armé, le pacte de Varsovie, sont un cauchemar pour les patriotes russes. Elles sont marquées par un recul géopolitique majeur de la Russie. Elle perd en quelques mois près de 5 millions de kilomètres carrés de territoire (près de huit fois la France) et cinquante millions de citoyens ! Déjà minée depuis des années par l’agonie du système collectiviste soviétique, terrassée par l’efficacité du modèle libéral occidental, la puissance diplomatique et militaire de la Russie s’affaisse durablement. Le repli est général. Tout un peuple le vit comme une humiliation historique sans précédent de leur patrie. La paralysie intérieure et l’impuissance extérieure de ces années 90 seront le terreau fertile d’où sortiront Vladimir Poutine et cet irrépressible désir populaire de renouveau qui le soutient sans discontinuer depuis 2000.

Tous les discours ou les interviews de Poutine le confirment : il porte l’histoire de son pays dans chacun de ses choix politiques. Qu’il la manipule ou pas à son profit, comme sont toujours tentés de le faire les dirigeants politiques dans tous les pays, qu’il soit sincère ou non dans sa volonté de redresser le pays pour les générations futures, au prix des gros sacrifices aujourd’hui, le président de la Russie est l’héritier de cette histoire. Il incarne parfaitement cette posture de « nostalgie active » que l’on retrouve chez beaucoup de Russes, qu’ils soient intellectuels ou non.

 


Vladimir Poutine est né à la politique à Leningrad, redevenue Saint-Pétersbourg en 1991, dont l’histoire et la géographie si particulières nourrissent depuis toujours l’imaginaire et la fierté des Russes. Ce fut aussi le cas du jeune Volodya (le diminutif de Vladimir). Né au cœur de la cité de Pierre le Grand le 7 octobre 1952, il est un fils symbolique de cette ville, qui se présente comme la plus belle de Russie. Personne ne lui conteste vraiment son statut – sauf, peut-être, chez certains Moscovites. Saint-Pétersbourg est une ville de défis dont ses habitants parlent avec amour. Érigée à partir de rien sur des marais inhospitaliers, elle est, à l’origine, un formidable défi à la nature, un pari prométhéen sur les capacités de l’homme et de ses techniques à la transformer. Tous les écoliers russes 

ont appris cette histoire en classe. Saint-Pétersbourg est l’idée d’un homme visionnaire et obstiné, Pierre le Grand, un empereur russe créateur de puissance et bâtisseur de beautés. Poutine l’admire, depuis toujours. Il aime se reconnaître en lui et s’identifie à son destin. Une de ses premières décisions publiques, très symbolique, le prouve. De retour d’Allemagne de l’Est en janvier 1990, Poutine est recruté à la mairie de « Peter ». Il s’installe dans l’immense et magnifique palais Smolny, à l’ombre des clochers à bulbes du monastère qui porte ce nom. Les bureaux ont été vidés. L’ancienne équipe d’apparatchiks communistes a quitté les lieux en emportant le mobilier utile, des équipements, les fournitures. Ils ont laissé tous les vieux tableaux à leur place. Les portraits de Lénine et les allégories soviéto-patriotiques fabriquées à la chaîne n’intéressent plus personne. Sous l’ancien régime, les chefs de service avaient droit à deux portraits – Lénine et Kirov –, les subalternes à un seul tableau – Lénine. À l’arrivée d’Anatoli Sobchak, le nouveau maire libéral, il n’y a plus ni obligations ni interdictions. Lénine et Kirov sont jetés dans les poubelles. Mais sur les murs recouverts d’un badigeon jaune, devenu gris poussière avec le temps, les emplacements vides font des taches claires. La plupart des employés accrochent un portrait de Boris Eltsine, le nouveau maître de la Russie. Pas Poutine. En prenant à son tour possession des lieux, les employés lui demandent le tableau qu’il souhaite. « Pierre le Grand ! » répond aussitôt le nouvel adjoint. Le lendemain, le service technique lui propose deux portraits de Piotr Alekseïevitch Romanov, premier « empereur de toutes les Russies » : une gravure romantique du tsar encore jeune, encore à l’aube de son règne, et l’un de ses derniers portraits. On le voit âgé, préoccupé, alors qu’il a engagé déjà tant de réformes qui ont bâti les fondations de l’Empire russe. C’est ce modèle que retient Poutine. Son choix est loin d’être innocent. Grand par sa taille (2 mètres) et par son œuvre, Pierre Ier fut un bâtisseur, un réformateur, un conquérant. À travers lui, Poutine rend hommage à l’empereur visionnaire qui fonda « sa » ville en 1703, qui amena l’Empire russe à un niveau inégalé. Il a fait un choix symbolique, alors que personne ne sait que l’URSS n’a plus que quelques mois à vivre et que Poutine n’est encore qu’un minuscule rouage de la mairie de Leningrad. Cette tutelle de Pierre le Grand annonce la formidable carrière du jeune Volodya, quand il sera passé de la Neva à la Moskova.

Pierre le Grand a fait le constat, comme Poutine le fera plus tard, que la Russie a besoin de s’ouvrir, d’aller chercher des connaissances et des compétences ailleurs. Très tôt séduit par la richesse artistique et technique de l’Europe, il a fait venir des artistes et des techniciens européens à sa cour. Lui-même est allé jusqu’à travailler incognito dans des ateliers de mécanique en Angleterre, en Allemagne et en Hollande, pour acquérir des techniques occidentales. Un peu à la manière d’un agent infiltré pillant les secrets technologiques de ses adversaires... Ce parcours a de quoi séduire celui qui sera pendant quinze ans un officier du KGB. Comme Poutine le fera avec les oligarques, Pierre le Grand taxa aussi, lourdement, les richissimes Russes de son époque, en leur imposant un impôt particulier de cent roubles par an, contre un kopeck seulement pour les autres sujets.

Autre similitude entre Poutine et Pierre le Grand, par-delà les siècles : une politique étrangère de présence soutenue, assortie d’une affirmation internationale qui s’appuie sur des capacités techniques et militaires rénovées. Avec Pierre, l’Empire russe intervient à l’extérieur (contre les Turcs) et devient une puissance européenne significative. C’est exactement le projet de Poutine, ce qu’il veut que la Russie redevienne. L’empereur ne conçoit la destinée de son pays qu’en s’ouvrant sur le monde, ne serait-ce que pour desserrer l’étau imposé par ses puissants voisins (l’empire de Suède et l’Empire ottoman). Le président d’aujourd’hui multiplie les initiatives en direction de l’Europe, de l’Orient (Syrie, Iran) et de la Chine, pour échapper à l’encerclement de l’Otan et des États-Unis qui menacerait son pays.

Cette ouverture sur le monde est à l’origine de la création en Russie de nombreux ports et de nouvelles voies maritimes, de la marine impériale et de la première base navale russe (1698), de la fondation de Saint-Pétersbourg (1703), sur un site souvent libre des glaces en hiver, avec un accès facile au golfe de Finlande. Le chantier fut titanesque. Arrachée aux immenses marais qui bordaient la Neva, la ville fut bâtie à un coût humain et financier impressionnant. Pierre IerEr ne compta ni l’argent ni le sang des hommes. Le chantier provoqua, selon les sources, de 100 000 à 150 000 morts, victimes d’accidents, de noyades, du froid glacial l’hiver et des fièvres malignes en été. La construction assécha les marais mais aussi une partie des finances de l’empire. Le recrutement pendant deux à trois ans de dizaines de milliers de serfs, de charpentiers et de maçons entraîna une baisse de la production agricole en Russie. Mais tous les Russes sont aujourd’hui fiers de cette épopée de « Sankt-Petersburg » (en allemand), la « ville de Saint-Pierre », capitale de l’Empire de 1712 à octobre 1917, don’t l’histoire est largement enseignée dans les écoles.

Poutine avait acheté son premier appartement, de l’autre côté de la Neva, au cœur de l’île Vassilievski, l’une des quarante-deux langues de terre qui forment la ville. Sur Vassilievski, les rues sont des lignia, en souvenir des canaux qui parcouraient la cité à l’origine. Pendant six ans, de 1990 à 1996, sur le chemin de la mairie, il sera ainsi passé presque tous les jours devant la colossale statue équestre de Pierre IEr, sculptée par Étienne Falconet en hommage au tsar bâtisseur. Son modèle sur tant de points.

 


L’histoire, le destin et les tragédies de Saint-Pétersbourg ont façonné le caractère et la sensibilité de Vladimir Poutine. Il s’y est nourri de l’argot des rues, qui fleurit encore certaines de ses déclarations à l’emporte-pièce, qui fait que l’homme de la rue peut aussi se reconnaître en lui. Il y a surtout appris la clarté de la langue, une particularité que les Russes reconnaissent aux habitants de « Peter ». Mieux que d’autres, ils savent traduire en mots et en phrases simples les choses les plus compliquées. Cette double faculté d’expression l’a servi par la suite dans sa carrière politique, pour séduire et convaincre l’opinion publique. « À la différence de Gorbatchev, pour qui il fallait réécrire tous ses textes, chez Poutine il n’y a aucun mot à corriger dans ses discours1 », témoigne un ancien membre de son cabinet. Ses expressions imagées ou brutales à destination des Russes, son sens de la repartie directe, y compris avec les dirigeants du monde, viennent de cette culture particulière à l’ancienne capitale des tsars. Son célèbre « j’irai buter les terroristes jusque dans les chiottes » n’est pas un élément de langage appris dans le cadre d’une campagne de communication politique. C’est le parler direct et brutal de la cour de son immeuble familial et de son école, rue Baskov, de son club de sports, sur Kondratievsky, dans une zone industrielle perdue au nord-ouest de la Neva. Ce sont aussi des mots et un ton que l’on comprend du premier coup à l’usine métallurgique Evgorod, sur Moskovsky Prospekt où son père travaillait, comme dans toutes les autres usines du pays, au siège du KGB de Leningrad et dans les autres casernes de la grande Russie.

Saint-Pétersbourg a façonné Poutine en imprimant aussi chez lui la culture du dvor, ce terme qui désigne la cour intérieure des immeubles, qu’un long porche au plafond bas sépare de la rue. Dans l’univers du dvor, on vit ensemble, été comme hiver. Tout le monde se connaît. Chacun sait d’où vient son voisin, comment il vit et avec qui. Cette ambiance collective, fraternelle et dure, a marqué Poutine. Il l’a longuement raconté dans plusieurs interviews, et notamment dans First Person2, ce long entretien personnel réalisé à Moscou en février et mars 2000 par trois journalistes russes, publié à Londres en anglais, jamais traduit en français.

Le jeune Volodya passait de l’appartement communautaire glacial du cinquième étage, sans eau chaude ni toilettes correctes, au dvor du rez-de-chaussée, tout aussi collectif. Les deux cours adjacentes du 12 rue Baskov, balayées par des courants d’air glacés en hiver, ont été son univers de jeux. Il y passait ses journées. « C’était notre refuge de confiance », raconte-t-il. Il y a affirmé sa personnalité, forgé son caractère, durci ses poings. Son école primaire était située à moins de cent mètres de son dvor où il s’attardait toujours, arrivant très souvent le dernier en classe.

Sa mère l’empêchait de sortir de la cour. De la fenêtre du cinquième étage, elle vérifiait à intervalles réguliers sa présence : « Volodya, es-tu là ? » Il répondait, obéissant, un peu effrayé par la rue 

bruyante, à deux pas. Une seule fois, lui et quelques camarades tentèrent l’aventure, en plein hiver. Ils voulaient voir la nature, les animaux – déjà ! Pour Poutine et beaucoup de Russes, ce retour régulier à la nature est un tropisme fort qui s’est confirmé chez lui à l’âge adulte, à travers son goût pour les « week-ends feux de camp » dans la taïga – évidemment mis en scène par son service de communication. Les enfants fuguèrent, prirent un train vers l’inconnu. Perdus, gelés, affamés, ils revinrent à la maison. « Nous eûmes la ceinture pour ce coup, raconte Poutine. Et nous n’avons plus jamais essayé de refaire un voyage de ce type. »

Dans l’univers du dvor, les aînés font la loi. Les petits la subissent en attendant à leur tour d’être grands. À l’âge de dix ans, Volodya devient un « leader tacite » dans sa classe, ce qui lui fait supporter l’école où il ne sent pas très à l’aise. « Je n’essayais pas de commander les autres, et c’était plus important pour moi de préserver mon indépendance, raconte-t-il. Si je devais comparer avec ma vie adulte, je dirais que je jouais un rôle plutôt judiciaire qu’exécutif. Et aussi longtemps que cela durait, j’aimais l’école. »

Poutine a gardé du dvor le sens de la camaraderie, le goût du clan don’t la solidarité est éprouvée par les combats menés en commun contre les autres dvor, un sentiment de méfiance instinctive pour ce qui ne vient pas de sa cour. Il en a fait une force dans l’exercice du pouvoir, surtout dans l’adversité, habitué à travailler avec un cercle restreint d’amis fidèles. Il en a certainement pâti, en rejetant ou en ignorant des talents qui auraient pu rejoindre l’équipe. Plus tard, au judo, pendant ses études à la faculté de droit, lors de son passage au KGB, ou par son travail à la mairie de Saint-Pétersbourg, Poutine élargira son cercle de proches, mais finalement assez peu. Il est resté fidèle à quelques anciens amis du KGB, et surtout à son réseau de Saint-Pétersbourg bâti en deux temps, pendant ses études et sa brève responsabilité d’adjoint au recteur de l’université, puis surtout pendant les six années passées au sein de l’administration municipale (1990 à 1996).

 


Vladimir Poutine est né et a vécu pendant un quart de siècle dans un quadrilatère de six kilomètres sur quatre, au bord de la puissante Neva. Ses racines familiales sont là, entre l’appartement communautaire de vingt-huit mètres carrés de la rue Baskov, infesté de rats, où il faut partager la cuisine et les toilettes avec cinq autres personnes, et le magnifique palais Smolny qui marque l’apogée de sa carrière politique dans la ville, avant son départ pour un autre palais encore plus impressionnant, le Kremlin de Moscou. Quel spectacle du monde voit le petit Volodya en sortant de la cour étroite où il passe son enfance, au pied de l’appartement communautaire qui occupe le cinquième étage d’un de ces immeubles-puits du centre-ville ? En sortant, à cinq cents mètres à peine du porche sombre qui ouvre sur sa cour, c’est la prestigieuse perspective Nevski. Cette célèbre avenue est son premier terrain d’exploration, avec les quais paisibles de la Fontanka, ce « canal des fontaines » où les gens de Leningrad allaient puiser l’eau pendant le siège allemand. L’avenue de la Neva – ses larges trottoirs et ses quelques vitrines – lui offre une belle ouverture sur la grande ville commerçante, industrieuse. Sur près de quatre kilomètres, de l’Amirauté à la grande gare de Moscou, de l’ancien Palais d’hiver au monument du Héros de Leningrad, il peut admirer la formidable vitrine du passé russe. Elle raconte les gloires et les richesses de l’époque des tsars, les soubresauts violents de la révolution qui commença dans cette ville, les grandes étapes de l’affirmation du régime bolchevique. Les palais, les églises, les grandes galeries commerciales, les maisons célèbres d’écrivains, comme celles de Dostoïevski et Gorki (hélas disparues en 2011 dans un vaste projet immobilier) sont les images de ce formidable livre d’histoire, ponctué, presque au centre, par le monument à la gloire de la Grande Catherine, installé en 1873.

Que ce soit sur le chemin de son école, puis de son lycée, au 14 de l’avenue Sovetsky, vers son club de sports de l’autre côté de la Neva, à l’usine métallurgique Egorov où son père travaille et, plus tard, à la mairie de la ville, Poutine voit défiler l’histoire glorieuse ou tragique de son pays. Enfant, adolescent et adulte, il s’en est nourri. Du petit Volodya, qui court à huit ans vers l’école primaire 193 au 8 de la rue Baskov, à l’adjoint au maire, qui travaille sous les ors décrés de l’ancien Institut Smolny, il reste dans l’histoire. Au palais Smolny, ce beau bâtiment palladien naguère réservé à l’éducation des jeunes filles nobles, il est en effet au cœur de l’épopée révolutionnaire qui marqua l’effondrement de l’ordre impérial. C’est à Smolny que s’installa le premier soviet de Petrograd pour diriger l’insurrection bolchevique d’octobre 1917. Lénine y commanda l’assaut contre le Palais d’hiver et, plus tard, le Parti communiste local y installa son siège. Poutine y médita aussi sur le destin de quelques héros soviétiques, sur la force des oppositions entre « camarades », sur le degré de violence que peut susciter un régime progressivement coupé des réalités. Dans les années 30, Kirov, de son vrai nom Sergueï Mironovitch Kostrikov, avait son bureau à deux pas de celui de Poutine. Rival trop populaire de Staline, il fut assassiné d’une balle dans la nuque par un jeune militant communiste, le 1Er décembre 1934. Cet assassinat déclencha les terribles purges staliniennes qui suivirent, cette terreur de masse qui reste l’une plus sanglantes taches dans l’histoire du communisme soviétique, ce régime que le président russe demande de juger « sur ses ombres et ses lumières ».

Vladimir Poutine est lui aussi indirectement lié à l’histoire du Parti communiste, par son grand-père, cuisinier à Pominovo, un modeste village au sud-est de Moscou. Connu et apprécié, il devint, après 1918, le cuisinier personnel de Lénine, quand les soviets décidèrent, le 12 mars 1918, de faire de Moscou la capitale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie – elle sera ensuite déclarée capitale de l’Union soviétique, le 30 décembre 1922. À la mort de Lénine, le grand-père Poutine ne quitte pas les cuisines du pouvoir. Il passe même au service de Staline, qu’il va servir jusqu’au bout en évitant les purges, avant de se retirer dans un sanatorium du Parti, à Ilinskoye. Alors enfant, Poutine était allé le voir à Pominovo. Son père, Vladimir Spiridonovitch Poutine, né en 1911 à Saint-Pétersbourg, y avait été évacué avec sa famille après la Première Guerre mondiale, pour ne pas mourir de faim. Il y avait rencontré sa future femme, Maria Ivanovna Chelomova. Devenu président, Poutine est retourné à plusieurs reprises dans le village de ses grands-parents. En janvier 2011, il y avait assisté à la célébration de Noël.

 


En arrivant chaque matin à la mairie de Saint-Pétersboug, Poutine et ses amis embrassent d’un seul coup d’œil l’incroyable synthèse historique proposée par l’architecture du palais Smolny, remarquablement préservée. De part et d’autre de l’entrée monumentale, derrière les colonnes, des grandes inscriptions en bronze accueillent encore les visiteurs : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » ; « Le premier soviet de la dictature du prolétariat ». Plus loin dans le parc, les bustes de Marx et Engels sont face à face, avant une statue de Lénine, comme si rien n’avait changé avec la fin de l’URSS. À gauche, derrière les arbres, le magnifique couvent Smolny, joyau du style baroque russe, coiffé par les coupoles dorées de la cathédrale de la Résurrection, commandé à l’architecte italien Rastrelli – le bâtisseur du Palais d’hiver. On y trouve partout le souvenir d’Élisabeth Petrovna, fille de l’empereur Pierre le Grand, future impératrice de Russie.

Grand sportif, futur champion de judo, Poutine s’entraîne régulièrement à l’école sportive de l’avenue Kondratievsky, dans la vieille zone industrielle qui borde la gare du nord-est. Pour s’y rendre, il passe par la perspective Nevski, l’Amirauté, le palais d’hiver, la forteresse Pierre-et-Paul, le célèbre panorama touristique de Saint-Pétersbourg. Ensuite, son tram ou son bus traverse une zone faite d’entrepôts, d’usines, de garages. Ce décor industriel d’un autre âge semble figé dans la Russie soviétique des années 50. Même les gens habillés de gris et de marron, un sac en plastique à la main, semblent des acteurs surgi d’une série télévisée d’Allemagne de l’Est.

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Bio:

Frédéric Pons  (de son vrai nom Pons de San-Jirma) est un journaliste, écrivain, professeur et conférencier né le  1er août 1954.

Décorations
Chevalier de la Légion d'honneur Chevalier de la Légion d'honneur
Officier de l'ordre national du Mérite Officier de l'ordre national du Mérite
Chevalier de l'ordre du Mérite agricole Chevalier de l'ordre du Mérite agricole
Croix du combattant Croix du combattant
Médaille d'Outre-Mer Médaille d'Outre-Mer agrafe « Liban »
Médaille des Nations unies pour le Liban Médaille des Nations unies pour le Liban
Croix des services militaires volontaires
Ouvrages
Action humanitaire et politique internationale : Politique et morale (avec Alain-Gérard Slama et Jean-Marc Varaut), CASE, 1993
Les Paras sacrifiés, Beyrouth, 1983-1984, Presses de la Cité, 1994, Prix de l'Association des écrivains combattants
Les Français à Sarajevo : les bataillons piégés, 1992 - 1995, Presses de la Cité, 1996, Prix littéraire de l'Armée de terre - Erwan Bergot en 1996
Les Troupeaux du diable, Presses de la Cité, 1999, Grand Prix du roman de l'Académie du Languedoc et de la Ville de Toulouse
Les Casques bleus français : 50 ans au service de la paix dans le monde, Italiques, 2002
Les Soleils de l'Adour, Presses de la Cité, 2003
Pièges à Bagdad, Presses de la Cité, 2004
Passeurs de nuit, Presses de la Cité, 2006, Prix Mémoire d'Oc de la région Midi-Pyrénées
Israël en état de choc, Presses de la Cité, 2007
Mourir pour le Liban, Presses de la Cité, 2007
Anne-Lorraine, un dimanche dans le RER D (avec Emmanuelle Dancourt), Presses de la Cité, 2008 (ISBN 978-2-85443-532-0)
Paras de choc au combat, Presses de la Cité, 2009
Opérations extérieures - Les volontaires du 8e RPIMa, Liban 1978-Afghanistan 2009, Presses de la Cité, 2009, Prix de l'Union nationale des officiers de réserve
Algérie, le vrai état des lieux, Calmann-Lévy, 2013
Poutine. Au cœur des secrets de la Russie moderne, Calmann-Lévy, 2014
Les Constitutions arabes, ouvrage collectif sous la direction de Christophe Boutin et Jean-Yves de Cara, Karthala, 2016
Le martyre des Chrétiens d'Orient, Calmann-Lévy, 2017
Géopolitique des Émirats arabes unis, ouvrage collectif sous la direction de Charles Saint-Prot, Karthala, 2019
Les Pèlerins du diable, Calmann-Lévy, 2019