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Dernière mise à jour : 01.08.2024
1173 articles


Un jour ce sera vide.

Publié le 21/03/2022 à 18:57 par kinesicors1-campagne Tags : sur roman maison amitié moi soi presse cadeau bleu fond histoire demain mer vie monde animal enfants air prix gratuit divers livre
Un jour ce sera vide.

RÉSUMÉ/
"C’est un été en Normandie. Le narrateur est encore dans cet état de l’enfance où tout se vit intensément, où l’on ne sait pas très bien qui l’on est, où une invasion de fourmis équivaut à la déclaration d’une guerre qu’il faudra mener de toutes ses forces. Un jour, il rencontre un autre garçon sur la plage, Baptiste. Se noue entre eux une amitié d’autant plus forte qu’elle se fonde sur un déséquilibre : Baptiste a des parents parfaits, habite dans une maison parfaite. Sa famille est l’image d’un bonheur que le narrateur cherche partout, mais qui se refuse à lui. Flanqué d’une grand-mère à l’accent prononcé, et d’une tante « monstrueuse », notre narrateur rêve, imagine, se raconte des histoires, tente de surpasser la honte sociale et familiale qui le saisit face à son nouvel ami. Il entre dans une zone trouble où le sentiment d’appartenance est ambigu : vers où va, finalement, sa loyauté ? Écrit dans une langue ciselée et très sensible, Un jour ce sera vide est un roman fait de silences et de scènes lumineuses qu’on quitte avec la mélancolie des fins de vacances.

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PREMIÈRE PARTIE
BAPTISTE

 

1
Les Méduses
L’enfant est à contre-jour. On distingue à peine son visage encadré par une chevelure lisse de vrai garçon. D’abord, il n’est que la cordelette de son slip de bain rouge ou bleu, qui s’approche, jambes graciles, pour observer le spectacle immobile dont je jouissais pour moi seul. Puis-je continuer sans crainte l’auscultation de la méduse à l’aide du bâton ? Plusieurs vagues passent, inondant la petite île de chair translucide avant que j’ose tâter de nouveau. Je presse légèrement la peau épaisse, mais ce n’est déjà plus l’essentiel. L’unique chose qui compte est désormais cette présence entre le soleil et moi. Un garçon de mon âge. Je me cramponne au bâton, orteils griffés dans le sable mouillé à la recherche d’un appui, tandis que la vague qui ruisselle sur la vague qui se retire me donne le vertige. « Tu la retournes ? » Nulle trace de défi dans la voix qui m’invite à poursuivre mes investigations. Une familiarité même, que je n’attendais pas. Mais je sais qu’il suffit d’une maladresse de ma part, un geste trop craintif par exemple, pour que cesse ce moment de grâce où rien n’existe entre nous sinon un peu de curiosité et cette masse compacte et urticante qui ressemble à un extraterrestre. Chaque seconde nous rapproche du moment où il faudra dévoiler plus de soi qu’on ne voudrait. Alors sans un mot, profitant de la poussée du ressac, j’exécute la manœuvre : voilà l’animal sens dessus dessous, ses longs filaments offerts à la morsure du soleil et à notre innocente cruauté. Je m’accroupis pour discerner dans les méandres gluants ce qui pourrait être une larme, un œil, un visage. L’enfant aussi s’approche, frôlant mon épaule de ses cheveux mouillés dont une goutte froide se détache et coule lentement le long de mon bras. Trajet affolant de ce don de sel sur ma peau. « On dirait un sac plastique ». Je lève le visage vers celui du garçon qui sourit, qui semble souriant autant que je puisse en juger tant je suis ébloui. Par le filet de mes yeux plissés, j’aperçois deux grands yeux verts et entre ses lèvres entrouvertes l’espace vide laissé par la chute d’une dent. J’imagine, dans un flash, le cadeau ou la pièce glissés sous l’oreiller épais, le baiser d’une mère, des volets qu’on ouvre sur le chahut d’une famille en vacances. « On la remet à l’eau ? » Les mots sortent plus doux que je ne l’aurais voulu, je trouve ma voix sotte, comme si elle trahissait une vérité qui me paraît soudain tragique et ridicule : je n’ai parlé à personne d’autre qu’à ma grand-mère depuis mon arrivée, autant dire depuis toujours. « À l’eau ? », le corps se déplie en guise de désapprobation. « Et si on la tuait ? » Je regarde ses pieds, ses pieds à lui, indifférents au sol qui se dérobe sous les vagues, indifférents à l’écume, et j’imagine aux orties, aux ronces et à tout ce qui se croit assez important pour les empêcher d’avancer. « Il faut la crever pour voir comment c’est dedans. » J’examine l’enfant qui me surplombe dans sa toute-puissance. Moi accroupi, un bâton tordu à la main, le visage déformé par la lumière, et sa demande me paraît d’autant plus légitime que je n’aimerais rien tant que de savoir de quoi il est fait dedans. Lui. De quel fluide magique ses veines sont parcourues pour donner cet éclat mat à tout son être. Alors je me lève, et avec une lassitude de vieux berger, j’enfonce le bâton en tournant dans la masse gélatineuse, à l’endroit qui m’a paru le plus tendre. Comme rien ne se produit je plonge encore la pointe jusqu’à déchirer la bête en deux. Elle est dure, insensible, comme une viande trop coriace, morte depuis des millénaires. J’abats un cadavre et la sueur accumulée dans mes cils coule soudain sur mes joues, larmes brûlantes qui effacent l’enfant, la plage et cette méduse que je sacrifie à la promesse d’une amitié estivale.

...................................................

2
La Mouche
Est-ce que, comme une cellule, la méduse peut survivre à sa propre division ? La question flotte à la surface de mon esprit alors qu’immobile sur un fauteuil, j’aspire de minuscules gorgées de jus d’orange pétillant. Avec la paille, j’imite la mouche qui s’abreuve de lymphe sur mon genou, sa trompe plantée dans le petit lac d’une plaie dont j’arrache toute tentative de cicatrisation depuis des jours. Il faut bouger le moins possible, ne pas l’effrayer pour profiter encore un peu de sa présence. Comme avec le garçon qui ne m’a pas donné son prénom, mais que j’ai saisi au vol alors que sa mère le hélait. « Baptiste ». À cet appel, il a haussé les épaules et m’a dit « À demain », comme si on tuait ensemble des méduses à heure fixe depuis des années. « À demain. » Me voilà l’heureux destinataire d’un rendez-vous. Pour la première fois depuis mon arrivée j’ai quelque chose à faire. Un projet. Une foule de questions aussi. Est-ce qu’il a voulu dire demain à la même heure ? Est-ce qu’il a dit « demain » comme il aurait dit « à bientôt » ? Voulait-il dire qu’on allait rejouer ensemble ou seulement se saluer d’un signe de tête ? Est-ce lui qui va venir me chercher ? Faut-il l’attendre au même endroit ? Que va-t-on faire ensemble ? Cette rencontre a-t-elle vraiment eu lieu ? Tout, jusqu’à l’existence des méduses, semble soudain discutable. Je ne suis même plus certain d’être allé à la plage ce matin. Pour le vérifier, il faudrait aller dans l’entrée voir si les nattes de paille dans le meuble à patères luisent de sable humide, si les sandales de plastique accusent encore leur séjour dans la vase et s’il tombe toujours des gouttes d’eau du maillot de bain, aussitôt transformées en taches blanches et salées par le métal bouillant du balcon. Mais quand bien même je trouverais le courage de traverser l’écrasante masse d’air chaud du salon pour en avoir le cœur net, les nattes, les sandales et le maillot de bain offriraient une résistance immobile. Amnésiques, comme tous les objets qui m’entourent. J’aspire une nouvelle gorgée de jus d’orange. J’aspire tout le jus d’orange jusqu’à faire crisser la paille au fond du verre, histoire de briser le silence. Devant moi s’étalent les rares jouets avec lesquels je tente parfois de faire avancer le temps. Des jouets vieux de tant d’étés que je ne me souviens pas les avoir jamais désirés. Ils attendent là, comme les casse-tête d’un ennui dont je ne sais plus comment me démêler. J’ignore vers quel destin pourrait rouler cette voiture rouge, ni de quelles aventures devrait triompher ce soldat articulé. Qu’ils se débrouillent, je ne peux plus rien pour eux : toutes mes tentatives finissent invariablement en catastrophes dont les circonstances me laissent un goût de fer rouillé dans la gorge. Que faire d’autre du haut d’un buffet que de sauter quand seul, on a survécu à la défaite de son armée ? À part accélérer dans le vide, que peut espérer une corvette lancée à plein régime sur une commode ? Et cette poupée de chiffon aux yeux cousus de noir ressemble trop à un cadavre pour incarner l’espoir. Alors je ne fais rien d’autre qu’attendre que ma grand-mère se réveille de sa sieste et que reprenne la valse des tâches ménagères qui rythment nos journées. Petit-déjeuner, se laver, s’habiller, déjeuner, dîner, se baigner, se déshabiller, se coucher. Notre vie est une symphonie de robinets qui coulent, de chasses tirées, de bains vidés, de vaisselle lavée, de linge essoré. Et pour se divertir de ce déluge : la mer. Un milliard de milliards de mètres cubes d’apathie liquide devant lesquels s’ébrouent des familles ordinaires. D’un geste, je congédie la mouche dont l’acharnement a fini par m’irriter. La pendule sonne 15 heures tandis que mon unique distraction s’envole par la fenêtre.

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3
Le Baptême
Caché sous le parasol, allongé sur une natte, une visière masquant mes yeux, j’observe le ballet des familles sur la plage. Mieux, je l’absorbe. L’intimité en plein air révèle quelques-uns des mystères tant convoités de la vie quotidienne des vrais enfants : l’onde paternelle pour laquelle on érige des châteaux, l’embarrassante attention des mères. Mais aujourd’hui je ne m’abandonne pas totalement. Je guette parmi les taches lointaines celle qui, en se précisant, dessinera la silhouette de Baptiste, prêt à passer par la lame de mon bâton toutes les méduses de Normandie pour lui plaire. « Tu viens ? » Le voilà qui se tient devant moi, le soleil dans le dos, m’obligeant une fois encore à lever des yeux plissés vers lui pour ne voir qu’une ombre de son visage. Il m’a surpris, terré, mes jouets dérisoires ridiculement étalés autour de moi, marmonnant pour mes chimères. Mais surtout, il a surpris à mes côtés cette grosse dame en maillot de bain une pièce, le visage profondément ridé, enfoncée sur une petite chaise pliante à motif tournesol, qui tricote à l’ombre d’un parasol usé. Ma grand-mère adorée. Si étrangère à la plage qu’elle ne semble pas affectée par la chaleur. Moi elle m’accable, mais pas tant que la présence de Baptiste. Debout, ne sachant pas comment me tenir, j’éloigne mon camarade d’une main maladroite, en parlant trop vite de tout ce qui me vient à l’esprit pour saturer le sien et brouiller dans sa mémoire l’image fugace de notre petit campement. Mais je n’ai pas fait deux pas que l’accent de ma grand-mère vient y fixer pour toujours mon étrangeté. « Ne retournez pas trop tard », choisit-elle de dire dans un éboulement de r sonores et roulés. Baptiste jette un œil par-dessus son épaule, fronce les sourcils, narines légèrement écartées, puis revient à la conversation, comme s’il avait mal entendu. Feignant l’indifférence, je continue à l’attirer vers la mer où une rangée de méduses monte la garde devant les vagues. « Tu crois qu’elles sentent la douleur ? » L’assurance avec laquelle, la veille, j’ai déchiqueté le pauvre animal me vaut aujourd’hui un statut tout à fait enviable dans le monde de mon nouvel ami, à commencer par le fait d’être son « copain ». « J’ai un autre copain, me dit-il, j’ai un autre copain qui sait attraper les serpents. » Je profiterai plus tard de la joie de cette comparaison, tout occupé que je suis par les mille responsabilités qu’impliquent mes nouvelles attributions. ...

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Bio/

Né  à : Paris , le 21/10/1978.

Hugo Lindenberg est un écrivain et journaliste français.

Il est diplômé en 2001 d’une maitrise de droit public à l’'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, puis d’un master de journalisme de l’ESJ Lille en 20052. Hugo Lindenberg devient alors journaliste de presse écrite pour divers magazines, notamment Ça m'intéresse et Les Inrocks.

En 2012, il participe au lancement du magazine Neon. L’année suivante, il devient rédacteur en chef adjoint du magazine Stylist. Il est également rédacteur en chef de Machin Chose, un magazine masculin gratuit à partir de 2017. Il exerce ses fonctions jusqu’en 2018. Depuis 2019, il est journaliste indépendant.

Il publie son premier roman "Un jour ce sera vide" aux Christian Bourgois éditeur en 2020 qui reçoit le prix du Livre Inter en juin 2021.